Oppenheimer : le prométhée américain disséqué par Nolan

Ce vendredi 21 Juillet 2023, l’attendu dernier opus de Christopher Nolan faisait son entrée dans les salles de cinéma du monde. Porté par un casting prestigieux et talentueux, le film relate une histoire complexe mêlant ego surdimensionné, quête de pouvoir, et tourment moral…

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Comme dans la plupart des films de Christopher Nolan, l’histoire de Oppenheimer est racontée de manière non linéaire à travers une série de flashbacks. Dès son entame le film nous ballotte de façon disjointe entre plusieurs trames narratives, à l’image de l’esprit dissipé du protagoniste. Nolan place le spectateur dans la tête de ce dernier à l’aide du mixage sonore “intrusif”, à défaut d’un meilleur descriptif.

Au-delà du laboratoire, les échanges entre Oppenheimer, Feynman, Fermi, Bohr, Einstein et leurs pairs transcendent la science pour se muer en réflexions éthiques. Soulignant ainsi l’ambivalence entre la soif de savoir et les conséquences dévastatrices de la connaissance.

Oppenheimer - Trinity test

Prométhée a volé le feu aux dieux pour l’offrir aux hommes. Pour cela, il a été enchaîné à un rocher et torturé pour l’éternité.

En explorant la vie d’Oppenheimer, le film dresse un parallèle captivant avec la figure mythologique de Prométhée en faisant écho aux dilemmes éthiques et aux fardeaux de la connaissance et du pouvoir. Il explore le rôle d’Oppenheimer en tant que physicien brillant à l’origine du développement de la bombe atomique pendant la Seconde Guerre mondiale, tout comme Prométhée vola le feu aux dieux pour apporter un savoir interdit aux hommes.

Ce lien avec Prométhée apparaît également dans le procès officieux auquel dut se soumettre Robert Oppenheimer. En avril 1954, son opposition à l’élaboration de la bombe à hydrogène et sa préférence pour la transparence des essais nucléaires le confrontèrent à une sanction punitive, symbolisant le châtiment que Prométhée subit pour avoir transgressé l’ordre divin. De même, Oppenheimer fut confronté aux conséquences de ses choix et actions, comme une sorte de punition pour avoir dévoilé la puissance de la science nucléaire aux hommes.

Oppenheimer face aux conséquenses de son accomplissement

Je suis devenu la mort, le destructeur des mondes…

Oppenheimer est un film à la fois épique et intimiste. Ce savant mélange culmine pendant le deuxième acte du film au moment de la toute première détonation atomique : le test Trinity. Il existe un risque (proche de zéro) que la détonation crée une reaction en chaine qui détruise la planète, mais personne n’est sûr de rien. « Les limites de la théorie pure », comme le rappelle allègrement le film. La tension monte crescendo, accentuée par la partition métronomique de Ludwig Göransson. Enfin, le bouton est pressé, la bombe explose. Silence complet.

Et alors que l’onde de choc de l’explosion du test Trinity se fait enfin sentir, l’émerveillement sur le visage d’Oppenheimer, admirablement interprété par Cillian Murphy, laisse place à l’effroi face à la réalisation de la portée de son accomplissement…

L'humiliation de Lewis Strauss

Le Projet Manhattan mobilisa 4000 personnes pendant 3 ans avec un budget de 2 milliards de dollars, créant une arme qui changera à jamais le monde. Mais ce triomphe se mua en cauchemar en août 1945, lorsque les bombes frappèrent Hiroshima et Nagasaki. Sans montrer la destruction résultante de l’usage de la bombe, Nolan arrive à saisir sur visage tourmenté d’Oppenheimer l’ambivalence entre la réalisation scientifique à Los Alamos et ses conséquences.

Sans recourir à l’image de synthèse, Nolan dresse un portrait épique de Robert J. Oppenheimer, sa plus complexe et nuancée étude de personnage à ce jour. Le cinéaste plonge les spectateurs dans l’univers complexe de ce scientifique légendaire tout en évoquant le prix inestimable de la connaissance et les responsabilités qui en découlent. Une œuvre cinématographique inoubliable qui invite à la réflexion sur la science, la morale et notre place dans un monde où la maîtrise de l’atome s’avère être une epée à double tranchant…