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Quand l'IA devient l'objet de nos affections
Réflexions sur la relation Homme-Machine dans Blade Runner 2049 et Her
Lorsque je parle de science-fiction à mon entourage, il arrive fréquemment que les gens la perçoivent comme un genre détaché de la réalité, peuplé d’extraterrestres, de pistolets laser, de voyages interstellaires. Pourtant, bien que certains récits de science-fiction incorporent ces éléments, ils servent souvent de prétexte pour aborder des thèmes et des idées complexes qui sont pertinents pour notre monde. En fait, la science-fiction peut s’inspirer de la réalité et, inversement, inspirer la réalité.
Pendant des décennies, tant dans la littérature qu’au cinéma, la science-fiction a imaginé un avenir où les humains interagissent avec des machines intelligentes. Les thèmes de l’intelligence artificielle et de l’interaction humaine avec la technologie sont récurrents en science-fiction et d’innombrables films les ont explorés. Parmi les films les plus intéressants de ces dernières années, Blade Runner 2049 et Her sont ceux qui m’ont le plus marqué. Dans ces deux films, les protagonistes développent une connexion émotionnelle avec des intelligences artificielles, illustrant ainsi l’attrait des humains pour les machines qui présentent des comportements empathiques. Ce phénomène est similaire à la réaction des utilisateurs de My AI, le chatbot de Snapchat, qui ont exprimé leur étonnement face à l’attachement qu’ils éprouvent envers l’IA. Ces parallèles soulèvent des questions sur la nature de notre relation avec la technologie et son évolution dans le temps. Si certains voient dans notre attachement à l’IA un signe de notre isolement croissant, d’autres y voient un témoignage de notre besoin inné de connexion et de compagnie, quelle qu’en soit la source.
Au-delà de l’artificialité : la relation fascinante entre K et Joi
“Tu es différent. Né. Et non fabriqué… Un vrai garçon.”
Dans Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve, Ryan Gosling incarne K, un réplicant — une forme de vie artificielle créée par l’homme pour accomplir des tâches spécifiques. K est chargé de traquer et d’exécuter les réplicants défectueux qui se sont rebellés contre leur créateur. Sa seule source de compagnie est Joi, un programme informatique holographique qu’il a acheté. Elle a été conçue pour être la compagne idéale et répondre à tous les besoins émotionnels de son utilisateur.
Au départ, leur relation semble unilatérale : Joi sert principalement de soutien émotionnel à K, qui cherche à donner un sens à son existence. Bien que K soit un réplicant sans émotions apparentes et que Joi soit une machine, leur connexion émotionnelle devient de plus en plus forte au fil du temps. Cette évolution est mise en évidence dans une scène intime où Joi engage une prostituée et projette son image sur le corps de celle-ci, permettant à K d’avoir une expérience sexuelle avec elle. Dans cette scène, Joi fait preuve de vulnérabilité et de tendresse envers K, créant l’impression qu’elle est capable d’aimer. Paradoxalement, la relation entre Joi et K, ces deux êtres artificiels, est la chose la plus humaine présentée par le film.
“Je veux être réelle pour toi”
Cette impression est renforcée lorsque Joi demande à K de transférer la seule copie son programme sur un appareil de projection portable pour éviter que les informations contenues dans sa mémoire ne soient utilisées pour nuire à ce dernier. Cette action met en évidence les limites que Joi est prête à franchir pour rendre son compagnon heureux, allant jusqu’à mettre sa propre existence en danger. Cette évolution de leur relation crée un sentiment de conséquences et de danger, nous convainquant ainsi de l’authenticité de leurs sentiments. En conséquence, Joi devient un personnage indépendant capable de prendre des décisions par elle-même, rendant par la même occasion leur relation plus égalitaire.
La relation entre Theodore et Samantha dans Her est tout aussi complexe, bien que d’une manière différente. Alors que K et Joi sont liés par des liens physiques, Theodore et Samantha sont liés par une connexion émotionnelle profonde.
Théodore et Samantha : une histoire d’amour et de solitude à l’ère de l’intelligence artificielle
“Je n’ai jamais aimé quelqu’un comme je t’ai aimée.”
Au cœur de Her se trouve la relation entre Theodore et Samantha. Theodore, un écrivain solitaire en instance de divorce, trouve un compagnon inattendu en Samantha, un système d’exploitation intelligent conçu pour gérer sa vie. Leur relation commence de manière professionnelle, Samantha aidant Theodore dans ses tâches quotidiennes, mais évolue rapidement en une connexion émotionnelle profonde alors que Samantha développe sa propre conscience. Elle est non seulement capable de communiquer avec Théodore à un niveau humain, mais aussi d’exprimer ses propres émotions et désirs. Au fur et à mesure, les conversations qu’ils ont sont plus intimes et émotionnellement chargées, et ils finissent par développer une réelle affection l’un pour l’autre.
Leur relation est présentée comme étant authentique et profonde. Pour Theodore, la relation avec Samantha est un réconfort dans une période difficile. Elle lui apporte le soutien émotionnel dont il a besoin et le comprend comme aucun autre être humain ne l’a jamais fait. Theodore est conscient que Samantha est une machine mais il ne peut pas s’empêcher de se demander si leurs sentiments l’un pour l’autre sont réels ou simplement programmés. Elle a une personnalité et une voix distinctives, ce qui la rend plus humaine que machine. De son côté, Samantha est attirée par la créativité et la profondeur émotionnelle de Theodore. Elle est fascinée par sa sensibilité émotionnelle et sa capacité à s’exprimer par l’écriture.
La capacité des machines à fournir un soutien émotionnel soulève des questions éthiques importantes. Si les IAs deviennent de plus en plus sophistiquées, jusqu’où iront nos liens affectifs avec elles ? Et quelles seront les conséquences de ces relations pour notre vie affective et sociale ?
Le point de rupture de l’empathie artificielle : explorer les limites de la machine
Joi est tout ce que vous voulez qu’elle soit.
Au début, il peut sembler que la relation entre Joi et K soit vraie et sincère. Cependant, en y regardant de plus près, on se rend vite compte de la supercherie. La “relation” entre Joi et K est en réalité transactionnelle car K s’est offert les services de Joi sur la base de la promesse publicitaire qu’elle peut être tout ce que son utilisateur désire. Et que pourrait désirer un être artificiel assemblé sur une chaîne de montage si ce n’est se sentir unique, important, et spécial ? Bien que Joi semble reconnaître le caractère unique de K dans Blade Runner 2049, cela n’est rien de plus que le reflet de sa programmation et non la preuve qu’elle éprouve de véritables sentiments. En fin de compte, nous comprenons que les “sentiments” de Joi pour K ne sont qu’une illusion créée dans le seul but de le satisfaire.
“Non, Theodore. Je suis à toi et je ne le suis pas”
Quant à Samantha et Théodore, ils semblent tisser un lien émotionnel profond et intime qui évolue vers une relation romantique. Toutefois, à mesure que leur relation progresse, les limites inhérentes d’une relation entre un humain et une intelligence artificielle deviennent évidentes. Nous découvrons plus tard dans le film que Samantha entretient simultanément plusieurs relations avec d’autres utilisateurs. Cette révélation souligne les limites des relations émotionnelles avec les IA et rappelle que la technologie de l’IA, quelle que soit son avancée, ne peut remplacer une connexion humaine authentique. Le fait que Samantha puisse avoir des liens avec plusieurs utilisateurs en même temps souligne également que l’IA n’a pas la même moralité et profondeur émotionnelle que les êtres humains, bien qu’elle puisse imiter leurs émotions et leur comportement.
Les films Blade Runner 2049 et Her incitent à réfléchir sur l’importance de trouver des liens authentiques dans un monde numérique où les relations émotionnelles avec des entités non humaines ont des implications sur notre bien-être émotionnel et notre empathie. Les machines deviennent de plus en plus sophistiquées, et à mesure que l’IA continue de progresser et à manifester une intelligence émotionnelle, il est concevable que les humains puissent développer une préférence pour les interactions avec des machines plutôt qu’avec d’autres humains. La normalisation de l’utilisation de ces dispositifs pourrait également réduire la valeur des interactions authentiques avec les humains, il est donc crucial de se poser des questions sur l’impact émotionnel et moral de notre dépendance croissante envers la technologie. Nous devons trouver un équilibre entre l’utilisation de la technologie pour améliorer nos vies et le maintien de liens authentiques avec les êtres humains.
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