Fondation : vers une convergence entre “eye-sci-fi” et s.f. ?

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Aujourd’hui vendredi 24 septembre 2021, débute sur le service de streaming de Apple, Apple TV+ la série Fondation adaptée de l’œuvre éponyme de Isaac Asimov. Cette saga, pilier incontournable de la science-fiction aura eu une influence colossale sur le genre et aura été la source d’inspiration de nombreuses autres œuvres majeures telles que Star Wars ou encore Dune. Mais ironiquement, Fondation tout comme les autres écrits majeurs de l’auteur ne se sont pas enracinés dans la conscience collective du grand public.

Plus d’un demi-siècle après, l’héritage de l’auteur n’a toujours pas trouvé son chemin dans les foyers ou sur grand écran, du moins pas de manière significative. Ce constat est d’autant plus marquant au vu du nombre impressionnant de textes écrits par Asimov et de leur influence indéniable sur la culture populaire. Comment cela s’explique-t-il ?

Isaac Asimov, 1979. © Reichenthal—AP/REX/Shutterstock.com

Au cinéma et à la télévision, la science-fiction traite principalement d’images, nous pourrions donc l’appeler la science-fiction par l’image.

Pour les audiences modernes, science-fiction rime avec grosses batailles spatiales, aliens et mondes extraterrestres, lasers, voyages interstellaires et j’en passe. Un étalage impressionnant d’effets spéciaux se voulant toujours plus réalistes. “Au cinéma et à la télévision, la science-fiction traite principalement d’images, nous pourrions donc l’appeler la science-fiction par l’image” écrivait l’auteur en 1979. Cette version “modernisée” de la science-fiction, popularisée par la télévision est ce qu’il qualifie de “eye-sci-fi” ou plus simplement science-fiction de l’image. Ici, le spectaculaire prend le pas sur la substance, l’image sur les idées. Il s’il y’a bien une chose dans laquelle Asimov excellait avec ses textes, c’était d’aborder de grandes idées avec des intrigues en forme d’énigme inspirées de ses connaissances en science et en histoire, le tout en restant très accessible pour le lecteur. L’auteur préférait retranscrire dans ses écrits de longues et approfondies conversations entre de petits groupes d’individus se livrant à des parties d’échecs mentales pour essayer de prendre l’ascendant les uns sur les autres plutôt que mettre l’accent sur le spectaculaire. Il semblait presque ennuyé par les aspects les plus spectaculaires de ses histoires, au point que dans les histoires de la Fondation et ailleurs, Asimov faisait en sorte que les batailles spatiales et autres scènes d’action se déroulent “hors champ” — même s’il n’avait pas à se soucier d’un budget d’effets spéciaux. Cette vision de la science-fiction, focalisée sur la substance, les idées ; la “science-fiction littéraire” en somme, il lui réservait l’abréviation de s.f. et espérait qu’un jour la science-fiction de l’image s’élèverait à son niveau.

David S.Goyer © David Buchan/Variety/REX/Shutterstock

Les gens essaient d’adapter Fondation depuis plus de 50 ans

A priori, les histoires de Asimov semblent se prêter facilement à l’exercice de l’adaptation : dans Fondation par exemple, une équipe intrépide de scientifiques désespérés, exilés sur un monde stérile, complotent secrètement pour sauver de lui-même un empire galactique en déclin — avec des billions de vies en jeu ! De fringants commerçants ! Des raiders impériaux ! Des intrigues de palais !

Mais dans la réalité, la manière dont ces histoires sont retranscrites dans les livres les rendent très difficile à adapter en images, du moins pas de façon assez intéressante pour les audiences modernes. C’est sûrement là la raison principale qui explique la présence anecdotique des oeuvres de Asimov dans les medias vidéos. “Les gens essaient d’adapter Fondation depuis plus de 50 ans”, a déclaré Goyer dans une vidéo promotionnelle pour la série. Goyer se heurte à une énigme qui a tourmenté les scénaristes pendant la majeure partie du siècle : bien qu’il s’agisse d’un auteur très accessible dont l’œuvre regorge de grandes idées passionnantes, Asimov n’est tout simplement pas cinématographique. Il y’a bien eu des tentatives d’adaptation hollywoodiennes, malheureusement très médiocres : le film de 1999, L’Homme Bicentenaire, basé sur une nouvelle qu’Asimov a écrite l’année du bicentenaire de l’Amérique et qu’il a ensuite développée, avec Robert Silverberg, dans le roman L’Homme Positronique (1992). Tourné avec un budget ridicule de 100 millions de dollars, soit 37 millions de plus que ce qu’a coûté la réalisation de Matrix la même année. Le film a perdu de l’argent. Pourtant, Hollywood a déboursé 120 millions de dollars pour réaliser I, Robot (2004), avec Will Smith dans le rôle d’un policier du futur qui enquête sur un meurtre qui semble avoir été commis par un robot. Le titre et quelques idées sont tirés du recueil de nouvelles d’Asimov de 1950, mais pas grand-chose d’autre.

Face à un tel constat, on serait presque tenté d’affirmer que “eye-sci-fi” et s.f. tels que décrits par Asimov sont incompatibles. Mais la réalité est tout autre ! Des exemples tels que Blade Runner (1982) adapté du livre Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip K. Dick ou plus récemment l’adaptation du livre de Frank Herbert, Dune (2021) transposé sur grand écran par Denis Villeneuve laissent à croire que ces deux approches de la science-fiction ne s’excluent pas mutuellement. On pourrait aller jusqu’à dire qu’entre de bonnes mains, elles sont complémentaires. Tout espoir n’est donc pas perdu.

La série Fondation arrivera-t-elle à faire justice à l’œuvre de Asimov ? Seul l’avenir nous le dira. Mais si on se fie à ce que les deux premiers épisodes de la série laissent entrevoir, David Goyer tient peut-être la clé de la première adaptation réussie de l’œuvre de Asimov : un développement plus accru des personnages et de leur relations, chose qui faisait défaut aux premiers livres de la saga le tout sans détourner le téléspectateur des idées centrales autour desquelles évoluaient les personnages. Des idées qui, à mon sens étaient les véritables personnages principaux de ses histoires.