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Contact: à la recherche de la vérité entre foi et science
Il y a quelques semaines de cela, l’algorithme de YouTube me recommandait une scène extraite du film Contact de Robert Zemeckis dans laquelle Palm Joss, un érudit religieux (interprété par Matthew McConaughey) défendait la foi auprès d’Ellie Arroway (interprétée par Jodie Foster) qui refusait d’accorder du crédit à autre chose qu’à la science. Ce fut pour moi l’occasion de redécouvrir ce film qui avait marqué mon jeune esprit à l’époque en devenant mon premier gros coup de cœur cinématographique.
Si Contact a eu un tel impact sur moi c’est sans doute grâce à la façon captivante dont le film présente la lutte éternelle entre la science et la religion, thématique qui m’a toujours fasciné. Dans mes souvenirs, Zemeckis en avait fait l’élément central de l’intrigue du film en personnifiant les deux camps. D’un côté, la science qui s’appuie sur des faits empiriques et vérifiables pour expliquer le monde qui nous entoure avec Arroway qui défend que seule la science peut apporter de vraies réponses. De l’autre, la religion qui demande à faire un acte de foi, pour croire en une divinité, un miracle ou une expérience mystique avec Joss Palmer qui insiste sur l’importance de cette foi religieuse dans la recherche de la vérité. Chacun présentant des arguments intéressants dans la balance et laissant ainsi le choix à l’audience de tirer ses propres conclusions. Cette interprétation, sans être totalement fausse ne reflète que ce que le film a à offrir en surface. Le revoir hier m’a permis de me rendre compte qu’en réalité Contact se veut être un voyage subtil à la recherche de la foi.
“Existe-t-il un Dieu tout-puissant et mystérieux qui a créé l’univers, mais qui ne nous a laissé aucune preuve de son existence ? Ou, est-ce qu’il n’y a tout simplement pas de Dieu, et nous l’avons créé pour ne pas nous sentir si seuls ?”
D’emblée la protagoniste est présentée comme une personne uniquement guidée par les faits et des données empiriques, réfutant l’idée même de l’existence d’un Être Suprême. Lors d’un échange avec Palmer, elle lui fait savoir qu’elle ne croit ni en Dieu ni au surnaturel. Arroway critique les croyances de Palmer au moyen du principe du « Rasoir d’Occam1 » qui stipule que de deux explications d’un même phénomène, la plus simple est nécessairement la bonne : Dieu existe mais refuse de donner toute preuve de son existence, ou bien Dieu n’existe pas ; nous l’avons créé en réponse à nos problèmes existentiels. Pour elle, cette dernière explication est la plus simple et, par conséquent, celle qui reflète la vérité. Palmer retorque alors en lui faisant remarquer que la notion de preuve ne peut être absolue, qu’il y a des vérités qui ne peuvent être prouvées objectivement et ne se fondent que sur notre conviction intime. Comment Ellie pourrait-elle prouver, par exemple, l’amour qu’elle avait pour son père ?
Cette joute intellectuelle entre la scientifique et l’homme de foi retranscrit de manière simple et efficace le perpétuel débat sur la confrontation entre science et religion.
“J’ai eu cette expérience. Je ne peux pas le prouver. Je ne peux pas l’expliquer. Mais tout ce que je sais, tout mon être me dit que c’était réel. J’ai reçu quelque chose de merveilleux, qui m’a changée pour la vie… Je voudrais pouvoir partager cela.”
Ellie, scientifique, dit ne pas croire en Dieu faute de preuves de son existence. Mais paradoxalement, elle joue sa vie et sa carrière sur l’existence de civilisations ailleurs dans l’Univers sans en avoir la moindre preuve. Ce paradoxe sera d’avantage mis en avant plus tard dans le film.
Après, avoir été choisie pour entrer en contact avec les auteurs du signal, sa crédibilité est remise en doute lors d’une audience devant le Congrès américain et un collège de scientifiques de haut vol. Ellie doit maintenant expliquer son expérience en dépit de l’absence de toute preuve pouvant attester de la véracité de l’expérience qu’elle a vécu. Dans cette seconde scène, les rôles sont désormais inversés. C’est à elle qu’on demande de choisir entre deux explications : est-elle réellement allée au centre de la galaxie, a-t-elle vécu toutes ces expériences extraordinaires qu’elle prétend avoir vécues, alors que les données recueillies attestent du contraire ? Ou bien : elle a simplement été le jouet de S. R Haden, l’excentrique milliardaire qui a financé ses recherches. Par honnêteté intellectuelle, Ellie admet qu’il est plus simple et raisonnable de croire qu’elle ait été la victime d’un canular.
Acculée et incapable de convaincre son auditoire, elle declare ensuite dans un monologue émouvant : “J’ai eu cette expérience, je ne peux pas le prouver, je ne peux pas l’expliquer mais… tout ce que je sais en tant qu’être humain, tout ce que je suis m’affirme que c’était réel. Il m’a été donné quelque chose de merveilleux, quelque chose qui m’a changée pour toujours. Une vision de l’univers (…) qui nous dit que nous appartenons à quelque chose qui est plus grand que nous même…”. Elle ajoute finalement, comme en écho à la réponse de Joss dans la première scène, que, bien que n’étant pas en mesure de prouver empiriquement son expérience, elle en a du moins l’intime conviction.
Bien plus, son souhait le plus cher est maintenant de faire partager son expérience qui l’a tant transformée. À la sortie de l’audience, elle est accueillie par une foule de partisans - des disciples, si vous voulez. Ellie l’athée se retrouve dans la peau des religieux qui n’ont aucune preuve de leurs affirmations, mais qui doivent simplement vivre par la foi et témoigner de leurs expériences qui changent la vie dans un monde incrédule.
“Ironiquement ce que les gens désirent le plus, un sens à leur vie, est justement ce que la science ne peut leur donner.”
Le principal point de discorde entre scientifiques et religieux est que ces derniers pensent qu’ils connaissent déjà la Vérité et que le but de la science est de trouver la vérité qu’ils connaissent. Or, science et foi représentent les deux faces d’une même pièce. Ce sont des aspects de la Vérité, mais pas la vérité tout entière, qui reste toujours insaisissable dans son ensemble. Lorsque Joss rencontre Ellie à l’extérieur de la salle d’audience, il l’escorte à travers la foule et atteste que la science et la religion ont le même objectif - la recherche de la vérité - et qu’il la croit. Les opposer, ou tenter d’appliquer (en vain) à l’une les catégories de l’autre pour l’invalider, revient à voir le monde d’un seul œil. Les réunir ne supprime pas les contradictions, mais leur donne « sens » en permettant de continuer à chercher.
Une foi qui essaie d’obtenir pour ses revendications la certitude de la science est peut-être aussi condamnée qu’une science qui prétend qu’elle commence sans aucune revendication de foi de sa part. Le monde d’aujourd’hui aspire à une philosophie - voire à une spiritualité - capable de résoudre les tensions entre la foi et la science avec intégrité et pragmatisme. Si Contact ne réussit pas à montrer la voie vers une telle spiritualité intégrale, il a au moins le courage d’essayer d’en imaginer la possibilité.
Face un monde laïc et scientifique qui a de moins en moins besoin de palliatifs métaphysiques, le message de Contact se veut conciliateur : il met l’accent sur la confrontation entre les croyances et la science pour au final mieux les rapprocher. Il tente de combler le fossé entre la foi et la science en affirmant, finalement, que les deux peuvent - et, dans de nombreux cas, doivent - coexister. D’autant plus que les deux se rejoignent dans leur but : la recherche de la vérité. Le film suggère que la poursuite de la découverte scientifique peut être une expérience spirituelle, et que la religion peut apporter une compréhension plus profonde des mystères de l’univers. Pour Anselme de Cantorbéry, l’intelligibilité de la doctrine chrétienne ne peut devenir évidente qu’après y avoir cru : Credo ut intelligam2 (je crois avant de comprendre ndlr.) disait-il. Le film à mon sens penche pour une inversion de la célèbre maxime : intelligo ut credam (je comprends pour croire), faisant ainsi de la science un complément de la foi.
Lorsque l’on pense à la science-fiction, il est facile de penser à des films d’action avec un étalage impressionnant d’effets spéciaux se voulant toujours plus réalistes où le spectaculaire prend le pas sur la substance. Mais la véritable science-fiction, celle qui a défini le genre, est rarement présentée avec autant d’acuité que dans Contact. Sans répondre à toutes les interrogations qu’il suscite, le film offre au public quelque chose à méditer et à explorer sur le plan philosophique par le biais de ses observations. Ce qui en fait à mon humble avis l’un des plus grands films que le genre n’ait jamais offerts.
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Aussi appelé « principe de parcimonie », ce principe doit son nom au philosophe et moine franciscain Guillaume d’Occam ↩
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Maxime célèbre du moine bénédictin italien, Anselme de Canterbury : “Non quæro intelligere ut credam, sed credo ut intelligam” ; je ne cherche pas à comprendre pour croire, mais je crois pour comprendre. ↩
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